vendredi 15 février 2013

Il y a quoi après la mer ?


Hier j'ai lu un livre, ça s'appelle "La Mer" de John Banville (985ème de la liste)



Bienvenue dans la tête de Max, historien de l'art, tout juste veuf et déboussolé de l'être.

Alors que sa femme se meurt, Max fait un rêve qu'il prend comme un signe et qui l’entraîne 50 ans en arrière lorsque, à 11 ans, il se lia d'amitié - et bien plus encore - à une famille troublante, Les Grace, lors de ses vacances d'été au bord de la mer. Sa femme à peine ensevelie, Max décide d'aller vivre pour un temps non déterminé dans la villa qu'avait louée à l'époque la famille Grace.

Nous suivons donc Max dans son "pèlerinage", totalement obnubilé par le passé entre sa femme et l'été de ses 11 ans, à tel point que lorsque d'autres l'obligent à refaire surface et à revenir dans le présent, cela parait au contraire irréel.

La Mer est un récit égocentré, les flux et reflux d'un homme qui se laisse porter par les vagues du désespoir. C'est en lisant ce genre de livre qu'on peut réaliser quel rapport nous entretenons avec les épisodes marquants de notre vie, et notamment le deuil.

"Renvoie-moi ton fantôme. Tourmente-moi, si ça te plaît. Agite tes chaînes, balaie le sol de ton linceul avec un zèle de banshee, de fée annonciatrice de la mort, n'importe quoi. Ca me ferait un fantôme.
Où est mon biberon ? J'ai besoin de mon biberon de grand bébé. Mon calmant."

Cela confirme ma position de combattante, du genre adepte de la résilience. Retourner le couteau dans ses plaies est pour moi un acte de barbarie contre soi-même. Je n'aime ni les désespérés, ni ceux qui s'apitoient. Dès lors, j'ai tout fait pour que Max me soit désagréable, pour pointer du doigt tout ce qui pouvait le rendre antipathique comme ses rapports avec sa fille ou sa relation passée avec sa femme.

"Elle essayait alors de devenir photographe, prenait des vues maussades et matinales, noir de suie et argent brut, de certains des quartiers les plus lugubres de la ville. [...] Je n'ai jamais attaché beaucoup d'importance à ces initiatives. J'aurais peut-être dû."

Pour me protéger, j'ai laissé cet homme seul se noyer. Je suis restée loin du rivage, bien à l'abri des relents de marée basse. On ne m'entraînera pas à chercher ce qu'il y a après la mer.

John Banville est comme ces dessinateurs qui, en quelques coups de crayon, arrivent à vous tirer le portrait en soulignant les failles que vous pensez invisibles. J'ai donc pu sauver ma lecture  en me régalant des descriptions  très soignées, des tableaux tellement vivants qu'ils semblaient danser devant mes yeux.

"C'était un joyeux petit bonhomme doté de mains fines et minuscules et de pieds minuscules. Sa garde-robe comprenant d’innombrables costumes de Savile Row, des chemises de chez Charvet en soie aigue-marine, vert bouteille et crème et des douzaines de paires de chaussures miniatures sur mesure me stupéfia. Sa tête, qu'il emmenait faire raser chez Trumper's un jour sur deux - les cheveux, c'est de la fourrure affirmait-il, aucun être humain ne devrait les tolérer-, était un oeuf parfaitement lisse, et il portait les grosses lunettes prisées par les riches hommes d'affaires d'alors, avec larges embouts et verres épais comme des culs de bouteille derrière lesquels ses petits yeux perçants s'agitaient avec une vivacité de poissons exotiques particulièrement curieux. Incapable de tenir en place, il sautait sur ses pieds, se rasseyait, puis ressautait sur ses pieds, de sorte qu'il ressemblait, sous ces hauts plafonds, à une microscopique noix dorée brimbalant avec fracas dans une coquille démesurément grande."


Mélancolie en français, Spleen en anglais, Saudade en portugais, mais aussi fiu en polynésien, un état d'abattement généralisé et d'ennui total. Le fiu est accepté et peut toucher tout polynésien, à n'importe quel moment. On attend juste que ça passe.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire