mardi 22 janvier 2013

L'âge de glace


Enceinte, je ne me souviens pas avoir signé un contrat dans lequel il était déclaré probable qu'un matin d'hiver la vue de ma fille derrière la vitre d'un bus soit le dernier souvenir que je garde d'elle pendant plusieurs jours. Non, enceinte, personne n'a osé aborder avec moi le sujet de la classe de neige, et je le regrette bien. Six années n'auraient pas été de trop pour me faire à cette idée.

Pourtant, question coeur de pierre, je me plaçais tout de même dans la catégorie marbre, celle qui inclut toutes celles n'ayant jamais versé une larme que ce soit pour Ghost ou Baby Boom. Même les deux réunis.
Mais aujourd'hui il y a eu le départ de classe de neige.

La première difficulté étant qu'un départ de classe de neige se fait toujours par un matin froid d'hiver, morne et sans relief. Il suffirait que l'on fasse cela un mois d'août, les tongs aux pieds, pour que tout cela devienne moins pénible mais le hasard du calendrier nous oblige à deviner le sourire contrit de notre enfant derrière une vitre forcément embuée tout en tremblant de la tête aux pieds, en passant par le coeur.

Tout comme les neiges éternels, les adieux le sont aussi. Parce que les retardataires, les précautionneux, les valises et les chauffeurs de bus n'ont pas le même désir secret d'en finir au plus vite. On avait pourtant, à force d'expériences et au fil du temps, établit la tactique des au revoir rapides pour que le revoir soit la seule chose à retenir. Mais un départ de  classe de neige se fait au ralenti, prémices de la lenteur de ces cinq prochains jours. 24 lancers de baisers et 51 signes de la main tout en scrutant la fermeture des portes du bus, se demandant si nos yeux seront assez courageux pour tenir prisonniers des larmes malvenues.
"Pleure pas si t'es un homme" se dit la mère.

Vient enfin la délivrance, qui cède instantanément la place à l'angoisse. Ne pas penser à cette association d'idées bus rempli d'enfants et virages de montagne, ne pas garder à l'esprit l'image de son enfant sans camarade assis à ses côtés (elle serait impopulaire ?), ne pas imaginer tout ce qui pourrait mal se passer, ne pas comparer avec sa propre expérience traumatisante de classe de neige et vérifier que le démêlant n'est plus à sa place et donc bien dans sa valise.

Je suis de marbre mais ma fille coule dans mes marbrures. Je la confie à la neige, en espérant qu'elle lui tienne chaud comme moi seule normalement sait le faire.

Justement parce que ce n'est que le début, que le premier départ, il n'en est que plus difficile. La classe de neiges des enfants est l'âge de glace des parents.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire